Petite Histoire de Lille

 

Une île ! Un relief qui émerge au milieu de la Deûle. Tel était Lille il y a deux millénaires. « C'est d'ailleurs de cette île initiale que la cité tire son nom », explique Alain Lottin, ancien président de l'université d'Artois et auteur de nombreux ouvrages d'histoire locale.

Si cette étymologie est bien connue, la localisation de la première implantation humaine sur le territoire de la commune est, en revanche, malaisée. « Le cours de la Deûle a beaucoup bougé depuis cette époque. Nous savons qu'à la période romaine une augmentation du débit de la rivière a contribué à en changer le lit », justifie Nicolas Dessaux, archéologue municipal.

Des découvertes archéologiques du XIXe siècle avaient permis de repérer, en plusieurs points, des traces humaines datant de l'âge du bronze, soit entre 2500 et 800 avant notre ère. Malheureusement, tous les documents anciens restituant l'emplacement et surtout l'interprétation de ce mobilier archéologique ont disparu dans l'incendie qui a ravagé le palais Rihour en 1916.

Un hameau dès la fin de l'Antiquité.

La multiplication des chantiers de fouille, depuis dix ans, a cependant permis de pallier, en partie, ce manque. La moisson archéologique s'avère, de fait, suffisamment riche pour qu'on puisse à nouveau reconstituer une partie de l'histoire antique de la ville. Qu'on en juge : des bijoux vieux de plus de 2 000 ans ont été exhumés au pied du centre de natation de la rue de la Digue ; les vestiges d'une grande villa gallo-romaine ont été identifiés sous le palais Rameau (boulevard Vauban). Enfin, un bâtiment du IIesiècle après J.-C. a été mis au jour par les spécialistes de l'Institut national de recherches archéologiques préventives à l'emplacement du centre commercial des Tanneurs (rue de Paris). « Mais ces découvertes ne nous disent rien de l'urbanisation de l'endroit. Il peut s'agir de bâtiments isolés », tempère Nicolas Dessaux.

Alain Lottin pense que ces éléments, mis bout à bout, confirment qu'un hameau préexistait sur le territoire de la commune dès la fin de l'Antiquité. « On sait que Charlemagne avait une riche résidence à Annappes (aujourd'hui Villeneuve-d'Ascq). Les documents qui évoquent ce palais rapportent que le lieu était entouré de plusieurs villages. Difficile d'imaginer qu'il n'y ait rien eu, à l'époque romaine, à l'emplacement de Lille », indique l'historien. D'autant que, situé à l'intersection d'une voie romaine et à la confluence de plusieurs rivières (la Deûle et le Becquerel, notamment), l'endroit semble idéal pour développer une place commerciale...

La découverte récente de céramiques gauloises sur la ZAC Iéna-Racine, à Wazemmes, pourrait conforter l'hypothèse d'une origine strictement gauloise de la ville. Mais les analyses sont encore en cours et les spécialistes demeurent prudents.

Le légendaire domaine de Treola.

Bien qu'un pont et un port existent à Fins depuis le VIIIe siècle, le nom de Lille n'apparaît dans les textes que plus tardivement. C'est d'abord une allusion sibylline dans un récit militaire de 1054 : un témoignage évoquant le passage de l'armée d'Otton non loin du castellum islense , comme est alors appelé Lille à cause du château qui surplombe la rivière. Son donjon a été localisé en lieu et place de l'actuelle Notre-Dame de la Treille. Le tracé des rues qui entourent aujourd'hui la cathédrale reprend d'ailleurs celui des fossés de l'ancienne place forte.

Ce château primitif est-il le légendaire domaine de Treola évoqué, pour la première fois, à l'époque carolingienne : une riche demeure entourée de vignes que Charlemagne regardait avec envie ? L'ancienne archéologue de la ville, Catherine Monet, le croit fermement. A l'entendre, le nom même de Notre-Dame de la Treille y ferait référence. Pour Nicolas Dessaux, la coïncidence toponymique semble moins évidente. « Un lieu-dit, dénommé Treolo, existe sur le territoire de l'actuelle Villeneuve-d'Ascq. Je pense, pour ma part, que Treola est plutôt là-bas », indique-t-il.

En tout état de cause, une grande foire se développe à Lille dès le XIe siècle. Contrairement à ce que prétend la légende urbaine, ce marché n'est pas situé sur la Grand-Place, qui ne sera créée qu'après l'assèchement des marais, deux siècles plus tard. Les boutiquiers installent, en fait, leurs stands en face de l'actuel Opéra, à quelques centaines de mètres en retrait. Le prestige des commerçants lillois est cependant suffisamment grand pour qu'on retrouve leurs noms cités dans des documents italiens de l'époque.

Cette activité commerciale fait de Lille une ville prospère. Preuve, s'il en fallait, de la richesse de la cité en l'an mille, une Collégiale, dédiée à Saint Pierre, y est édifiée dès 1066 comme le prouve une charte signée par le comte Baudouin V conservée dans les archives de la ville. De cet édifice religieux ne subsiste aujourd'hui que la Crypte dans les caves du Palais de Justice.

Bien que les abords de la rue de la Clef soient lotis, la population se retrouve vite à l'étroit dans ses murs. Lille s'agrandit. On crée un bourg neuf dans le quartier de Saint-Sauveur vers 1130 : une ville nouvelle dont les archéologues ont retrouvé les fondations dans les caves de l'Hospice Gantois, près de la mairie.

Le coeur de la ville où résident épisodiquement les comtes de Flandre est, lui aussi, élargi. Ce castrum couvre le périmètre délimité par la rue de la Monnaie, la place du Concert, l'avenue du Peuple-Belge et la rue des Trois-Molettes, soit un peu moins de 10 hectares. C'est sur l'emprise de ce palais fortifié que Jeanne de Flandre va fonder, en 1237, l'Hospice Comtesse. « La présence de deux hôpitaux dès cette époque témoigne, là encore, de la richesse de la ville », indique Alain Lottin.

Capitale du drap.

Sa fortune, Lille la doit d'abord à la plaine céréalière qui l'entoure. Elle lui permet de développer très tôt une activité brassicole. Mais elle le doit aussi à une plante tinctoriale, la guède, qui permet de colorer les tissus en bleu. De fait, bénéficiant du développement des ateliers textiles, alimentés par la laine venue d'Angleterre, Lille est devenu en quelques années la capitale du drap.

Les échanges avec les villes flamandes du Nord (Gand, Anvers, Ypres) s'intensifient à un point tel que la corporation des marchands lillois finit par adhérer à la guilde commerciale de Londres.

La ville croît de nouveau. On y creuse des canaux pour alimenter les moulins à eau nécessaires au développement de l'activité de filature. L'un de ces canaux, désormais couvert, coule toujours, sous la chaussée, le long de l'Hospice Comtesse. La cité est bientôt engoncée dans son enceinte édifiée en 1230. La municipalité décide d'annexer les paroisses jusque-là rurales de Saint-André et Sainte-Catherine. Lille s'étend alors sur près de 120hectares.

Le succès économique de cette province, qui tourne ostensiblement le dos à Paris, ne tarde pas à exciter la convoitise du roi de France. Lille va être au coeur du conflit qui va opposer, en cette fin de XIIIe siècle, Philippe le Bel à EdouardIer d'Angleterre.

Passée sous le contrôle de Paris en 1304, la cité ne tarde pas à revenir sous l'autorité du comte de Flandre à la fin du XIVe siècle. Lorsque Philippe le Hardi épouse sa fille, Marguerite, Lille passe sous le contrôle des ducs de Bourgogne. Ce sont eux qui feront de la ville, au même titre que Bruxelles et Dijon, l'une des grandes cités européennes des Etats bourguignons. Sous leur domination, la cité change littéralement de visage. Le palais Rihour, dont ne subsiste que la chapelle, transformée en office du tourisme, est inauguré en 1463. Le périmètre urbain s'étend encore.

Superficie quintuplée.

Lille va continuer de se développer sous le règne de Charles Quint, puis sous celui de Philippe II, roi d'Espagne. C'est à cette époque que les maisons de bois laissent la place aux immeubles de brique. Une ordonnance royale impose en effet des mesures strictes de lutte contre l'incendie.

La cité s'agrandira après 1667, date à laquelle elle redevient française. Sous la pression démographique, nombre de cours d'immeuble ont été transformées en pièce d'habitation, et l'on ne compte plus les caves qui sont habitées. Louis XIV décide d'intégrer de nouveaux faubourgs à la ville. Au pied de la citadelle, le Roi-Soleil réalise une immense promotion immobilière qui lui permet quasiment d'autofinancer la construction de la forteresse dessinée par Vauban.

Cette extension devra néanmoins être poursuivie en 1858, date à laquelle Lille quintuplera de superficie en se mariant avec les communes environnantes de Wazemmes, Moulins-Lille, Esquermes, Fives et du faubourg Saint-Maurice. L'heure de gloire pour la toute jeune préfecture du Nord. Une sorte d'apogée qu'une exposition, organisée par le service d'art et d'histoire, devrait commémorer en octobre prochain