Jeu d'échecs Viking

Par Le 12/02/2017 0

Dans Archéologie

 

Article issu du site : http://cervieres.com/2015/09/10/livoire-des-vikings/

L’ivoire des Vikings :

Lewis Chessmen – a collection of chess pieces, handcrafted in the 12th century

Lors du référérendum sur l’indépendance de l’Ecosse qui s’est tenu le 18 septembre 2014, l’une des revendications du parti nationaliste écossais était la restitution par l’Angleterre des figurines  en ivoire de morse du jeu d’échecs découvert en 1831  sur l’île de Lewis située dans les Hébrides, un archipel au Nord-Ouest de l’Ecosse.

Les amateurs du jeu d’échecs connaissent bien ces miniatures dont leur notoriété auprès du grand public a bénéficié en 2001 de leur apparition à Poudlard dans une scène de la saga Harry Potter. Même si ce n’est pas le jeu d’échecs le plus anciennement conservé, ces pièces sont parmi les plus célèbres avec celles dit de Charlemagne : les deux jeux remontent à la période médiévale, vraisemblablement dans la deuxième moitié du 12ème siècle pour les figurines de Lewis, tandis que celles de Charlemagne remonteraient à la fin du XIème.

   Échiquier dit de Charlemagne  Pion du jeu d'échecs dit de Charlemagne. Ivoire, Italie méridionale, fin XIème siècle. Trésor de Saint Denis [BNF, Monnaies, médailles et antiques]

Le jeu d’échecs dit de Charlemagne date du XIème siècle et appartient au Trésor de Saint-Denis depuis le XIIIème. Il aurait été fabriqué à Salerne en Campanie, alors capitale normande de l’Italie du Sud, ce qui expliquerait que les figurines comportent la représentation d’équipements militaires vikings.

Alors que le jeu d’échecs dit de Charlemagne est aujourd’hui visible à la Bibliothèque nationale de France, la très grande majorité des figurines de Lewis constituées de 79 pièces d’échecs et de 14 pions de backgammon,  est accessible au British Museum de Londres qui en détient 82, le musée national d’Ecosse à Edinbourgh n’en possédant que 11 sur un total de 93.

Lewis chessmen - Fuckyeahvikingsandcelts

Pourquoi évoquer les figurines de l’île de Lewis ? Depuis leur découverte en 1831, le mystère sur leur origine persiste.  Depuis deux siècles, les symposiums sur les origines de ces pièces médiévales en ivoire de morse n’ont pourtant pas manqué d’autant qu’il s’agit de sculptures expressives qui témoignent d’un art remarquable, et qui marquent une rupture dans la continuité du jeu : les figurines confirment ainsi que la représentation de la reine comme pièce principale s’affirme dans le jeu occidental en remplacement de celle traditionnelle d’un vizir ou d’un comte ; et pour la première fois, apparaît à la place de l’éléphant , »the Bishop » (l’évèque en anglais, qui prendra la dénomination de « fou » sur l’échiquier français).

chess piece

Jusqu’alors, il existait un consensus des spécialistes pour considérer que ces pièces admirables étaient originaires de Norvège, vraisemblablement de la ville de Trondheim réputée alors pour ses habiles sculpteurs de défenses d’ivoire de morse. A celà, trois raisons principales : l’ivoire de morse fut longtemps « l’or de l’Arctique » que les marchands nordiques utilisaient comme étalon de référence dans le troc et qui servait aussi à l’artisanat d’art, pour les bijoux et les objets échangés comme cadeaux ; l’île de Lewis appartient à l’archipel des Hébrides jusqu’en 1266 sous domination norvégienne, de plus sur le parcours des marchands et guerriers vikings, entre la Scandinavie et et les colonies norvégiennes situées en Irlande ;  enfin, des fragments de pièces d’échecs en ivoire de morse datant de ce même douzième siècle ont été retrouvés à Trondheim.

Trondheim, peuplée de 150.000 habitants est la troisième ville de Norvège après Oslo et Bergen. Harald 1er y fut élu premier roi de norvège et c’est de là que serait parti Leif Ericsson, fils d’Erik le Rouge, premier européen à explorer l’Amérique du Nord vers l’an 1000.

Voici que ce qui semblait acquis est aujourd’hui remis en cause. Les figurines de Lewis n’auraient peut-être pas été sculptées à Trondheim en Norvège mais à Skalhot en Islande, par une femme dénommée Margret, sur commande de l’évèque de la ville, Pall Jonsson, ce qui change tout, enfin n’exagérons rien, cela reste entre Vikings.

Skalhot est un village du sud de l’Islande peuplé de 160 habitants ; c’est l’un des lieux les plus importants de l’histoire islandaise ; le sacorphage de l’évèque Jonsson y fut découvert dans les années 50 lors de fouilles consacrées à l’ancienne église médiévale

Un joueur d’échecs islandais, Gudmundur Thorarinsson, fut le premier en 2010, à défendre cette thèse de l’origine islandaise qui souleva le scepticisme poli des tous les spécialistes. L’affaire est entendue, retournez à vos volcans, telle fut la conclusion unanime portée sur son intervention à un colloque international.

The Warder, Lewis Chessmen, British Museum:

Mais voici qu’une historienne américaine réputée  dans le domaine de l’histoire des Vikings, Nancy Marie Brown, vient de consacrer un livre entier à cette affaire, « Ivory Vikings : The mystery of the most famous chessmen in the world« , pour conclure que le plus probable effectivement est que ces figurines en ivoire ont été sculptées en Islande par une femme, à la demande d’un évèque du lieu.

Pourquoi s’intéresser ainsi, aujourd’hui, à ce changement de perspective concernant des figurines d’échecs en ivoire de morse, ce qui ne fera guère de bruit dans le Landerneau, on en conviendra volontiers. Tout simplement parce que notre vision de l’histoire de France est terriblement étroite, obscurantiste et franchouillarde, ignorant souvent les influences étrangères primordiales qui ont radicalement transformé la France au cours du temps.

Ainsi la civilisation nordique a durablement marqué l’histoire de la France, ce qui est largement passé sous silence hors la Normandie. Les invasions Vikings qui remontent  en France au dixième siècle sont à l’origine de quatre siècles de conflits intenses avec l’Angleterre qui se poursuivront par cinq autres siècles d’antagonismes belliqueux jusqu’à ce que l’entente cordiale mette fin aux rivalités guerrières entre les deux puissances sur le continent européen. On ne comprend rien à l’histoire de France si on oublie ces intrusions vikings à partir desquelles le royaume capétien va se constituer et s’agrandir en opposition radicale aux Normands  et longuement batailler.

C’est pourquoi l’histoire de ces figurines d’échecs taillées dans des défenses d’ivoire de morse nous intéresse. Les Vikings ne furent pas que de redoutables guerriers, ils furent aussi d’habiles commerçants dont la sphère d’influence s’est étendue non seulement en Baltique, mer du Nord ou dans l’Atlantique-Nord, mais jusqu’en mer Caspienne et Méditerranée, au temps où ils prirent possession de la Sicile puis du sud de l’Italie entre le XIème et XIIIème siècles, faisant trembler Rome et Byzance, sans oublier leur installation en mer Noire ou en péninsule ibérique. Les figurines de Lewis, taillées en Islande ou en Norvège, démontrent qu’au douzième siècle les routes commerciales menant de l’Asie à l’Europe se poursuivaient jusqu’à l’extrême nord du continent européen pour constituer une civilisation commune fondée sur les échanges et la pratique de jeux de divertissement tels que celui des échecs.

Au-delà du jeu lui-même, la taille minutieuse de l’ivoire a permis à la sculptrice islandaise ou au sculpteur norvégien, d’obtenir des expressions  de visage ou des attitudes qui donnent à ces miniatures une valeur inestimable.

Les 79 pièces sont constituées de huit rois, huit reines, 16 évèques (fous), 15 cavaliers, 12 fantassins (tours) et 19 pions, de 7 à 10 cm de haut pour les pièces majeures et de 3 à 5 cm pour les pions. Ces pièces doivent leur exceptionnelle conservation à ce qu’elles avaient été enterrées sous le sable d’une dune, dans une cavité en pierre sèche.

Les pions sont représentés par des pierres tombales ciselées de dessins géométriques, de même que les boucliers des fantassins à la place desquels sera plus tard substituée la représentation de tours.

Pawn and Rook, ca. 1150–1200. Scandinavian, probably Norway, found on the Isle of Lewis, Outer Hebrides, Scotland, 1831. Walrus ivory. The British Museum, London (1831,1101.127, .121) © The Trustees of the British Museum. All rights reserved. The fine detail of the incised geometric pattern on the pawn and on the shield of the rook is characteristic of the V-shaped graver.

La reine affligée à la perspective d’une mise en échec constitue l’une des pièces les plus célèbres du jeu.

Queen Lewis Chess Piece

Quant aux rois du jeu, leurs trônes sont finement décorés de dragons, d’animaux ou de feuillages, le monarque portant toujours une belle barbe accompagnée de tresses tout aussi sculptées.

        kingfrontback384x304.jpg (384×304) King, Chessmen from Isle of Lewis; dragon is bottom panel of back of throne. 12th century.         Lewis chess piece

La représentation d’un viking « berseker », c’est à dire un fantassin furieusement agressif, constitue aussi l’une des pièces les plus connues, le soldat croquant des dents son bouclier.

Echec Berserker

Enfin, évèques et cavaliers sont aussi des pièces sculptées tout aussi expressives qui donnent à ce jeu une réputation sans égale dans le monde des échecs mais encore dans les pays du Nord de l’Europe tant chaque figurine semble la représentation exacte d’un Viking.

          Bishop Lewis Chess Piece    Isle of Lewis (Scotland) chessmen. This is a pair of knights.        Medieval 12th Century English chess piece. Not from the Lewis set. 

Enfin, pour en revenir à la revendication écossaise sur les pièces du jeu de l’île Lewis, sans vouloir froisser nos amis dont l’emblème est une licorne, ils n’ont pas de solides arguments pour justifier le transfert de propriété de ces figurines exécutées en Norvège ou en Islande et enterrées dans le sable dans les Hébrides alors possession des Vikings. Dans l’histoire de ces miniatures en ivoire de morse, tout relève de l’universel, ce qui est assez logique pour des pièces du jeu des Rois retrouvées par hasard au milieu des sables d’une dune. Elles pourraient y être encore. Elles n’y sont plus. Chacun d’entre nous sommes dépositaires de ces figurines qui sont à l’image des hommes, sans prise sur le temps.

 
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